(septembre 1990) Les pieds nus, ancrés au sol et le pas lourd, Svan sort de sa maison, un air tranquille plaqué sur le visage, visible grâce à la seule lueur de la lune. Il referme consciencieusement la porte d’entrée et se glisse vers la maison d’à côté. La maison d’Anatoli. Son deuxième foyer.  Il sait que ses parents ne s’inquièteront pas en voyant son lit vide, qu’ils sauront tous les deux avec certitude où il est allé. Une nouvelle fois. C’est une habitude que le jeune a prit depuis les bombardements de l’académie.  Dès que les regards se font trop lourds entre ses parents, que leur incapacité à lui raconter ce qui se passe dehors crée une boule d’angoisse au creux de sa gorge, faisant reculer le sommeil loin, loin. Ana a cette candeur, cette douceur qui repousse l’angoisse du fils du feu, au moins le temps de dormir. Parce que Ana est cette espèce de demi-dieu aux yeux du garçon, son petit soleil personnel et qu’il a été béni par Lumia, alors qu’il était encore qu’un bambin. Et Svan a terriblement besoin de cette douceur, de cette sagesse, il a terriblement besoin de dormir près de celui qui signifie tout pour lui.

« T’en as mis du temps. » Svan affiche un sourire mutin, en reconnaissant la voix de son meilleur ami, calme et teinté d’amusement. « Je te manquais déjà ? » Ana secoue la tête, ses yeux se fixant sur les deux labradors chiots qui jouent ensemble. Du haut de leurs douze ans, leurs daemons respectifs n’avaient pas encore de formes fixes, et avaient la fâcheuse tendance de s’imiter dès qu’ils étaient en présence l’un de l’autre. Ana est déjà allongé dans son lit, les yeux pleins de sommeil, signe qu’il se forçait depuis quelque temps à attendre son voisin. Alors Svan se pose près de l’autre garçon, sur son lit, assez près pour sentir la chaleur de sa peau, malgré le t-shirt à manches longues qu’il portait pour dormir. Il tourne la tête, et le bout de son nez frôle l’épaule d’Ana en une douce caresse. « Il y a eu des bombardements du côté est de la ville. » Sa voix n’est qu’un murmure contre la peau d’Ana. «Je sais, papa me l’a dit au repas.» Son père est un soldat du gouvernement, le modèle de son meilleur ami. Svan sait qu’Ana voudrait servir sa nation plus tard, tout comme son père le fait tous les jours, et il ressent une boule de fierté devant la détermination d’Ana. Ana éteint la lumière et sans un mot, Svan cherche sa main et entrelace ses doigts aux siens, recevant une douce pression en retour.

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(juillet 1997) Une odeur de fumée s’échappe du terrain plat, légèrement éloigné d’Aléria, où Svan et Ana ont habitude d’aller se réfugier dès qu’ils veulent aller s’entraîner. Ici, sur la terre sèche, et lisse, sans aucune végétation, rien ne peut être détruit par les deux adolescents. Assis en tailleur à même le sol, Svan s’amuse à jongler avec des petites boules de feu de sa création, tandis qu’Ana perfectionne ses jais de feu. Il a toujours eu une longueur d’avance sur Svan par rapport à la maîtrise du feu. Peut-être parce que la découvert de son pouvoir s’est fait bien plus tôt, à seulement cinq ans, tandis que Svan a dû attendre ses sept ans avant de sentir ses paumes le brûler pour la première fois ; ou bien parce qu’il porte beaucoup plus d’importance à maîtriser des techniques de combat que le jeune Maslov. Et dès lors que l’académie a fermé ses portes, Ana s’entraîne, parfois seul, parfois avec son père, mais le plus souvent auprès de Svan. « Ana ? » Ce dernier se tourne vers la petite voix de son meilleur ami, à quelques mètres de lui. « Tu penses que la guerre va bientôt se terminer ? » prononce Svan en un soupir, bien trop désespéré à son goût. Ses boules de feu ont disparu, remplacé par une épaisse fumée qui s’élève rapidement au-dessus de lui. Il darde son regard sur son meilleur ami, qui vient s’asseoir lourdement près de lui « Je ne sais pas. Après tout, la guerre vient à peine de recommencer. » Svan peut entendre l’amertume dans son ton, et ne sait pas quoi répondre. Alors il lui cogne doucement le genou avec le sien, et l’invite à parler. « La guerre se finira lorsque l’un des deux camps chutera. Autrement dit, quand la nation de l’air s’avouera vaincu, et ce ne sera pas sans pertes. » Il déglutit, et Svan se rend compte qu’il pense à son père, qui combat contre les insurgés au quotidien. « Mais les maîtres de l’air ne peuvent rien contre le gouvernement, si ? » Anatoli a un sourire attendri face à la question de Svan et passe une main dans ses cheveux roux. « Non, ne t’inquiètes pas. » Il s’est toujours senti plus jeune, plus fragile que son meilleur ami, malgré les quelques mois qui les séparent. Après tout, Ana veut servir sa nation, il sait mieux se servir du feu que lui et suit tout ce qui se passe ; Svan veut juste guérir les gens, comme ses parents. Surtout, il veut pouvoir sauver Ana, parce qu’égoïstement, Svan ne se sent pas vivre sans lui.  

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(février 1998) Des chuchotements se font entendre sur la grande place d’Aleria, alors que le soleil est au plus haut dans le ciel. Pourtant Svan a la bouche résolument fermé, immobile et incapable de se mêler à la foule. Il sent sa peau fourmiller, le feu reposant habituellement au fond de son ventre a l’air de vouloir sortir de son corps. Mais Svan se contente de fermer ses poings, ses jointures blanchissant sous l’effort. Il voudrait se retourner et partir en courant mais il ne peut pas. Il ne veut pas être si lâche. « J’ai entendu dire que Maslov aurait essayé de tuer Murtagh Bernstein, c’est pour ça qu’il est exécuté aujourd’hui » Svan ravale la bile qui lui était montée à la gorge face à cette rumeur infondée. Lui-même ne sait pas ce que son père a pu faire pour être considéré ennemi du gouvernement. Oh, il savait très bien que son père était contre la famille régente, qu’il désapprouvait la guerre menée contre la nation de l’air. Il avait vu les regards lourds de sens qu’il partageait avec sa mère, il l’avait vu préparer des pommades contre les brûlures, sans jamais les voir dans la vitrine de la pharmacie. Et un matin, un groupe de soldat, mené par le père d’Anatoli, Maksim, était venu l’arrêter. Et aujourd’hui, Svan s’apprêtait à le voir mourir.

Des hommes montent sur l’estrade, les mêmes qui l’ont arrêté deux semaines plus tôt, Maksim en tête. Sa démarche sûr, claquant contre le bois de l’échafaud, et sa face sombre, presque triste. Derrière lui, deux soldats tiennent fermement un homme aux jambes trainantes, à la tête baisse, aux vêtements sales. Et malgré son air si différent de d’habitude, Svan reconnaît à la seconde où il le voit, son père. Svan est tendu, les accusations contre son père déclarées avec monotonie par Maksim, tandis qu’il s’imprègne une dernière fois de la vision de son père, qui, bien que la fatigue et l’angoisse sont facilement visibles sur son visage émacié, se tiens fièrement face à l’assemblée. « Que son cas serve d’exemple à tous ceux tentés de trahir la couronne. » A ces mots, Svan détourne le regard, conscient de la suite des évènements. À la place, il tombe dans le regard d’Ana, de l’autre côté de la foule. Une tempête semble faire rage dans les deux orbes azur, d’habitude si calme et Svan plonge dans ce regard, s’y accrochant une dernière fois. Il s’est tant de fois appuyé sur Ana pour vivre, pour survivre, sa vie entièrement tourné vers son meilleur ami. Mais une chose s’est brisée en lui, et il se rend compte qu’un retour en arrière n’est pas possible. Ne sera jamais possible. Alors tandis que des murmures horrifiés parcourent la foule amassée, le jeune Maslov reste les yeux fixé sur le visage d’Ana, qui articule un mot, lentement, fébrilement,  trois syllabes, qui n’ont aucun sens aux yeux de Svan. Désolé.

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(octobre 2000) «Contrôle ta respiration, tes lames ne sont pas assez tranchantes» Svantovit souffle sous le regard dur du maître de feu qui lui fait cours aujourd’hui. Le regard peu avenant que Svan darde sur lui ne semble pas lui poser de problèmes et il se contente de continuer à le fixer, les sourcils froncés. Alors il s’exécute avec difficulté. Svan n’est pas à l’aise avec l’autorité, il ne le sera surement jamais. C’est un anarchiste, de ceux qui répugnent à courber l’échine, à se soumettre. Et c’est bien pire devant un membre de sa nation, devant un maître de feu. Mais il ne peut pas se permettre de faire un esclandre, pas ici, ni dehors. Il sait ce que ça lui couterait. Son père en a fait les frais. Alors il déglutit, et force son souffle à ralentir.

Boum. Boum.

Il inspire doucement, et expire, longuement, profondément, avant d’étendre sa main droite devant lui. Des lames jaillissent de sa paume, rougeoyante, Il ne sent qu’une douce chaleur traverser ses mains, réconfortante et étrangement... puissante. Cette fois, ces lames sont rapides et forment une sorte de couteau, bien aiguisé, brulant la cible contre le mur en un instant. Svan sent un sourire naître sur ses lèvres, mais ne se détourne pas pour voir la réaction de son professeur. Après tout, ça ne l’intéresse que très peu. La capacité à donner forme à ces flammes a toujours été sa plus grande faiblesse, traînant son côté fantasque comme un boulet à ses pieds. Il est un feu incontrôlable, cette boule qui brûle ses entrailles au plus profond de lui n’a pas de forme et n’a pas à en avoir. Elle jaillit hors de lui au rythme de son cœur, au rythme de ses envies, indomptable. Svan lutte au quotidien entre toute la haine qu’il ressent pour sa nation, pour le feu qui a détruit l’air, qui assure sa dominance et son pouvoir par la terreur, par les cris et la mort, et tout ce réconfort qu’il puise au fond de lui, cet élément au bout de ses doigts, sur sa peau, qui semble l’envelopper, le contenir. « C’est tout pour aujourd’hui » Ses pensées sont coupées par cette voix grave et rocailleuse auquelle il répond d’un simple hochement de tête avant de s’éloigner à grands pas.

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(mars 2013) Les grilles se referment sur le visage pâle du Maslov. Un sourire insolent aux lèvres, il s’adosse aux murs froids et sales de sa minuscule cellule. Il a fini par la connaître comme sa propre chambre, de ses murs gris sombres aux grilles humides de la porte, des plaintes sourdes des autres prisonniers, là depuis bien plus longtemps que lui.

Bientôt, des pas rompent la monotonie de la cellule, des rangers en toile militaire ancrées au sol, provoquant un bruit étouffé à chaque pas, avant de s’arrêter devant la cellule de Svan «Ça fait longtemps que je t’ai pas vu traîner à la maison, gamin.» Il plante son regard dans celui du plus âgé, rencontrant le regard si bleu de Maksim, si semblable à celui d’Anatoli. « J’ai été occupé à la boutique. » Le garçon de feu se tortille sous le regard calculateur, se sentant épié au plus profond de lui-même, se sentant lu. «Pourtant, ça ne t’a pas empêché de te retrouver ici. Et ne me dis pas que ce n’est pas volontaire.» Il ne répond pas, incapable de se justifier. Que peut-il dire ? Que la volonté d’Ana de devenir soldat, qui le rendait auparavant si fier, lui donnait aujourd’hui envie de vomir. Qu’il se sentait incapable de le regarder en face, l’impression brulante d’être un livre ouvert pour l’autre l’angoisse, qu’il puisse voir la tempête qui sombre sous son crâne, cette insurrection rêvée. Alors il s’est éloigné, de peur d’avoir la confirmation que ce gouvernement a plus de valeur pour son meilleur ami que lui-même, de peur d’être trahi par la personne plus chère à son cœur. Un claquement se fait entendre, et Maksim repart, laissant la porte de la cellule entre-ouverte, laissant Svan libre. Comme à chaque fois.